Le Spleen d’Ulysse

« Le Spleen d’Ulysse » à l’Abbaye de Jumièges, du 8 juin 2023 au 7 janvier 2024.

Le département de la Seine Maritime a souhaité consacrer en 2023, une exposition monographique et rétrospective à l’artiste Nikos Aliagas. Conçue autour de la figure d’Ulysse, archétype du voyageur et du navigateur, l’exposition a été présentée à l’abbaye de Jumièges du 7 juin 2023 au 4 janvier 2024, en lien avec la manifestation de l’Armada à Rouen, dont la première édition en 1989, s’intitulait Les voiles de la Liberté. De liberté, il est sans cesse question dans le périple de retour du héros homérien, en proie à la volonté des dieux et qui déjoue par ses mille ruses, les forces du destin. La poésie d’Homère retrouve dans les images de Nikos Aliagas, la force des mythes contemporains de l’action, dans un parcours autant géographique que mystique où réel et fantastique se mêlent pour dire notre humanité : la charité, la noblesse, la piété filiale, l’amour, la mort et l’au-delà. L’éthique héroïque et le courage, valeur aristocratique, s’adressent encore aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui.

Poème de la nostalgie, l’Odyssée d’Ulysse est le fil rouge de la centaine de photographies réunies ici. La plupart récentes ou inédites, amènent le spectateur dans la réalité d’un ici et maintenant contemporain, en réactivant la force du texte. Le chemin est pour Ulysse le grand nostalgique, sa vraie destination, chemin parmi les hommes, les dieux et lui-même. La première image que nous montre Homère du héros est celle d’un homme qui pleure sur un rocher dans l’île où il est retenu par Calypso, image dont Nikos Aliagas a su trouver la correspondance fortuite sur les bords de Seine. Pour revenir chez lui, sans connaitre le jour du retour, il faudra qu’Ulysse fasse l’expérience de l’extrême ailleurs dans une quête sans cesse inachevée de son identité et un parcours intime et introspectif, avec une volonté de survie que la mélancolie n’altère pas. L’image du retour rejoint celle de la réflexion, dont les limites sont sans cesse repoussées. Ulysse revient des enfers, de chez les lotophages ou les cyclopes, approche Ithaque de quelques encablures avant d’être encore repoussé, dans un parcours aux mille détours. Nikos Aliagas se consacre depuis une vingtaine d’années à la pratique photographique, aiguillon parallèle à ses activités audiovisuelles. Un parcours professionnel sur lequel il pose un regard avisé, de même que sur les pièges, sirènes, sortilèges et faux dieux des mondes qui se succèdent sur les écrans. Attaché à ses origines et culture grecques, il met ici en images dans un travail très personnel, un nouveau récit qui rejoint dans une vision contemporaine, la représentation de l’invisible homérique, où les hommes communiquent avec les dieux et les forces qui les environnent. Dans la singularité des figures et des portraits, la photographie propose une nouvelle lecture du texte et démontre l’actualité de cette poésie trois fois millénaire. « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. » conclut Giorgio Agamben dans la leçon inaugurale au cours de Philosophie théorétique qu‘il donna en 2005 à l’université de Venise. L’artiste est celui qui nous donne à voir ce faisceau, les photographies de Nikos Aliagas en sont ici, le révélateur. Gageons que le visiteur d’aujourd’hui y retrouvera la force et la beauté qui font les grandes œuvres.

Sandra Prédine-Ballerie, directrice de la culture et du patrimoine du Département de la Seine-Maritime. Commissaire de l’exposition « Le Spleen d’Ulysse ».