J’ai besoin de frissons, de regards embués et de parfums de pins.

16 mai 2024

J’ai besoin d’ombres, de lumière et de fissures, de danse et de désinvolture.

J’ai besoin de frissons, de regards embués et de parfums de pins. Passez votre chemin si vous n’avez jamais attendu les nuances de l’aube assis sur des galets difformes. Si le battement des ailes des odonates vous laisse indifférents, si vous n’aimez pas le gout du cognac sur la langue après un enterrement, si vous confondez la fin et les moyens, si vous n’avez jamais douté, regardez ailleurs. J’ai besoin de signes, de cannelle et de vin. Ne perdez pas votre temps si ne vous êtes jamais égaré dans ses méandres, si vous ne reconnaissez pas un dieu d’antan dans le regard du passant, si vous méprisez celui qui ne craint pas de sortir du cadre, si vous ignorez le chant du chardonneret quand le vent du soir transporte des parfums de sauge, si vous ne distinguez pas le prix de la valeur.

Accueillez l’inconnu comme l’expression d’un présage, libérez la petite voix qui murmure en vous lorsque le silence vous oppresse, pardonnez, aimez les mains pleines d’épines et d’eau glacée de la vendeuse des roses fraiches. Si vous chérissez secrètement la meute assoiffée parce qu’elle comble votre solitude alors passez votre chemin, je n’ai rien à vous offrir. Juste quelques dragées de baptême qui craquent sous la dent, des mots pêchés dans les eaux baptismales de livres aux pages jaunies, peut-être aussi une boite de crayons de papier pour colorier vos images. Si vous n’avez jamais enlacé un arbre comme si c’était le dernier jour de votre vie, si vous ne vous arrêtez pas devant un nid d’hirondelles, si la grêle vous insupporte, si vous ne caressez pas le cuir râpé d’un fauteuil oublié comme on découvre la peau sacrée du nouveau-né, je ne peux rien faire pour vous. Ne cherchez pas la clarté si vous craignez l’obscurité, la fuite n’enfante pas le salut.

Passez votre chemin si vous préférez le conditionnel au subjonctif, si le filtre vous sied autant que vos certitudes, si le malheur de l’autre conforte votre couardise, si vous aimez l’olivier mais pas son écorce. J’ai besoin d’embruns, de boléros tristes, de visages ridés et d’encens. J’ai besoin d’une paire d’yeux pour voir ce que les mots nous empêchent, de thym pour puiser du courage, de saints pour comprendre le martyr, passez votre chemin si le vent vous importune, si la dune vous effraie, effleurez donc son sable comme on embrasse le catafalque un soir de nouvel an. J’ai besoin de pouvoir vous serrer la main pour vous signifier mon respect, d’embrasser, de consoler, de jeter aux braises, masques, trophées et médailles de pacotille. J’ai besoin d’ombres, de lumière et de fissures, de danse et de désinvolture. J’ai besoin d’aimer pour chaque nouveau jour, sinon à quoi bon ?