15 février 2024
Une amie philosophe m’a dit l’autre jour « il faut mettre de l’âme là où il n’y en a pas ». Ses mots ont germé dans mon esprit « là où il n’y en a pas » ou « là où on ne la voit plus » ? Car s’il existe une raison pour laquelle j’ai commencé à faire de la photo c’est bel et bien pour retrouver une parcelle d’âme dans le cadre : dans un visage, un paysage, un geste, un ciel, partout on l’on devine encore des traces de vie. J’entends parler de tranches de vie, comme si la vie des gens pouvait se couper en « tranches », être stockée dans des cases ou rangée sur des rayons quelconques. Je préfère les rayons du soleil quand ils éclairent une maison abandonnée. On garde mais on ne regarde plus, on voit mais on ne ressent plus. Mais où est l’âme au-delà de toute considération dogmatique ? Aristote parlait de mouvement, d’émotion et d’intelligence, certains peuples archaïques la décrivaient comme une voix intérieure ordonnée par un dieu, François Cheng dit que l’âme « s’enracine dans l’essence même de l’univers et de l’être ». Aujourd’hui, à tort, on la désigne comme une faculté ou une prédisposition, une valeur ajoutée qui ne peut pas faire de mal. Mais l’âme n’est-elle pas présente dans chaque recoin de notre existence ?
Dans un café d’une petite ville de province en Grèce, à Amfissa, sur un vieux mur, entre un cadre représentant un personnage d’un autre temps qui m’était inconnu et une pile de vieux livres, j’ai ressenti « la vie d’avant », « la vie des autres » dirait Florian Henckel von Donnersmarck. L’âme est peut-être le dernier témoin de l’absence. Sur les sites archéologiques, ce ne sont pas les restes d’une civilisation qui survivent au temps et aux hommes, c’est l’âme de ceux qui vécurent. Certains ne voient que des ruines, d’autres comprennent le mystère de leur propre existence. Une photographie m’aide à déceler la vie dans l’absence, les traces d’une existence, des vies oubliées, brisées et estompées mais toujours présentes en surimpression. Un calque invisible imprégné de murmures, de soupirs et de joie. C’est peut-être dans cet espace-temps intime que se vit donc le plus beau des voyages, là où les frontières entre l’imagination et le réel s’entremêlent le temps d’un clic. L’entendement n’est pas une affaire de bon sens mais de sensible. Dans le café « Panellinion » à Amfissa, là où Théo Angélopoulos avait tourné la fameuse scène du « voyage des comédiens », entre un vieux tome du code pénal et un mur vieilli, j’entends les murmures d’hommes et de femmes d’hier, je partage en silence leurs soupirs et leurs joies. Un homme de sagesse et de foi Bertrand Vergely nous dit qu’ « il est dramatique de perdre le fil de la vie parce que l’on a perdu celui de l’âme », alors si tant est que la vie ne tient qu’à un fil, ne gardons que celui-ci, le plus fragile, le plus puissant et le plus trouble, celui de l’âme.