11 mai 2024
J’ai photographié Slimane le premier jour de son arrivée sur le plateau de The Voice en 2015. Je le revois dans la pénombre des coulisses se préparant à affronter dignement les feux de la rampe, rechercher un alignement, une respiration qui rassure et qui guide.
Un homme qui attend à l’abri des regards et du miroir de ses propres doutes. Nul ne connait le prix du passage de l’ombre à lumière tant qu’il ne l’a pas vécu. Slimane tente sa chance dans la petite lucarne comme on jette une dernière fois une bouteille à la mer avant de prendre le large, un soir de nouvel an où le champagne tiède et les promesses sans lendemain déchantent. Le spectacle fait rêver mais il peut être amer lorsqu’un sentiment d’inaccompli s’installe de façon pernicieuse dans le regard. On le croise tous un jour devant soi ce regard lassé de la Méduse qui pétrifie nos rêves. Ce jour-là, j’ai vu dans les yeux de Slimane, un homme fatigué de tourner en rond qui avait décidé de larguer les amarres de la galère. Un dernier lancer de dés avant la banqueroute ou la renaissance. Il faut du courage et de la foi pour rechercher un signe dans le brouillard d’une existence, cette reconnaissance ne serait-ce que furtive, ce moment subtil où le feu ardent qui a tant nourri l’enfance devient une réalité sensible aux yeux de tous. Ce n’est pas seulement la chance qui élève un homme, c’est sa capacité de transcender l’immanence.
Slimane porte l’ombre et la lumière dans sa chair, l’astre solaire tatoué sur le dessus de la main droite, une demi-lune sur la main gauche. Une vie de contrastes, de hauts et de bas et de forces gravitationnelles parfois contraires qui ont fait de lui l’artiste qu’il est devenu. Le soir de sa prestation en direct à l’Eurovision, au moment précis où il se recule du micro pour libérer sa voix la plus puissante, c’est son être entier qu’il libère. Il jette au loin la clef du bonheur tant espéré, il n’espère plus rien, ne craint plus rien, il est, il aime, il vit. « En pensant à la clef chacun fait sa prison » murmure le poète T.S. Eliot et dans l’adversité d’un concourt de chant, Slimane prend sa vie en main et se débarrasse de tout artifice. Il se met à nu face à sa destinée et ne garde que l’essentiel, sa voix et son souffle pour faire rugir un « Je t’aime » qui remonte de très loin. Slimane plonge dans la source la plus lumineuse, la raison d’être de tout artiste : l’amour inconditionnel. Là où on ne perd jamais.